Développement du Nord: la dimension manquante

Après le complexe portuaire, les infrastructures routières et ferroviaires, le projet de Renault Nissan, les pouvoirs publics viennent de lancer la construction d’une plateforme industrielle enrichissant et profitant de tous ces projets structurants.

La Région Nord du Maroc, pendant si longtemps oubliée, livrée aux réseaux mafieux et à l’économie illégale, est en train d’entrer dans la normalité et de se préparer à son développement économique et social. Un développement stratégique pour le Maroc, puisque cette région constitue sa vitrine, sa porte d’entrée et son tremplin vers l’Europe et le marché mondial.

La question que tout le monde se pose est, bien entendu, celle de la conjoncture. Quelle opportunité pour ces investissements massifs, alors que la crise économique et financière sévit dans le monde et s’installe, d’après toutes les prévisions, pour plusieurs mois encore ?

Dans des propos rapportés par l’Agence Reuters, le ministre du Commerce et de l’Industrie, M. Ahmed Chami, a livré sa réponse : « La crise mondiale rend encore plus opportune la transformation du Maroc en base industrielle attractive. Le développement industriel accroîtra les volumes d’import export par le port de Tanger Med…La construction des parcs industriels (5000 Ha) prendra plusieurs années… La crise est là, mais elle ne durera pas pour toujours. Quand le monde sortira de cette crise, nous serons prêts à accueillir les entreprises. »

Ce sont-là des propos de bon sens, de confiance et de continuité. Le Maroc ayant fait le choix de l’ouverture économique, avec tout ce que cela suppose en termes de menaces et d’opportunités, il doit rester dans la logique de l’optimisme et de la recherche de l’investissement et de la croissance.

Mais le Maroc doit aussi rester à l’écoute de ce qui se passe dans le monde, et scruter d’un œil averti les tendances d’avenir de l’économie mondiale. Il doit préparer le terrain à l’économie de demain et non seulement à celle d’aujourd’hui ou d’hier. Et sur ce point précisément, on ne peut s’empêcher de constater qu’il manque une dimension dans le design du développement de la Région du Nord. La dimension d’avenir, la dimension de la durabilité.

Puisqu’il est communément admis que le signal économique de l’avenir vient toujours de la puissance américaine, il n’est pas inutile de rappeler quelques indications données, le 10 janvier dernier, par le Président élu Obama. Dans son allocution radiophonique réservée à sa politique de stimulation de l’économie de son pays, Obama a déclaré : « Nous allons créer près d’un demi million d’emplois en investissant dans l’énergie propre – en s’engageant à doubler la production d’énergie alternative dans les trois prochaines années, et par la modernisation de plus de 75% des bâtiments fédéraux et l’amélioration de l’efficacité énergétique de deux millions de foyers américains. Ces emplois construisant panneaux solaires et turbines d’éoliennes, made-in-America, et développant des voitures économes en carburant et les nouvelles technologies de l’énergie, paient bien et ne peuvent pas être externalisés. »

Déjà la veille de ces annonces, les firmes américaines spécialisées dans les technologies propres, notamment dans le solaire, ont vu leurs actions à la bourse de New York bondir, alors que la morosité continuait de caractériser les cours dans les autres secteurs.

Bien sûr, la partie n’est pas facile. Les vicissitudes de la vie politique américaine feront certainement que le Congrès donnera du fil à retordre à l’administration Obama avant de voir s’appliquer ces plans, surtout dans leur volet technologies propres. Mais l’on sait aussi que les tendances économiques ne se dessinent pas seulement par les pouvoirs, législatif ou exécutif. Le marché a aussi son mot à  dire.

A titre anecdotique, on peut rapporter le cas du géant japonais de la copie et de la photo Ricoh. Cette entreprise alimentera en effet dés fin janvier son écran géant de publicité à Times Square à New York par de l’énergie renouvelable (16 turbines éoliennes verticales et 64 panneaux solaires), avec un coût d’un million de dollars pour la technologie et l’installation. C’est peut-être du greenwashing (lavage vert), comme il est de mode maintenant dans toutes les grandes entreprises internationales, mais cela fait aussi partie d’une dynamique irréversible.

Une dynamique qui se trouve confortée par l’engouement pour les technologies propres de la part du Capital Risque, largement considéré comme un indicateur avancé de l’ensemble des modèles d’investissement. En effet, les résultats préliminaires de 2008 pour les technologies propres en Amérique du Nord, Europe, Chine et Inde, ont atteint un record de 8,4 milliards de dollars, en hausse de 38% par rapport aux 6,1 milliards de dollars de 2007. L’année 2008 représente ainsi la septième année consécutive de croissance, en investissement de Capital Risque dans ce secteur prometteur.

Sur un autre niveau, le salon de l’Automobile qui s’est ouvert à Detroit le 11 janvier a été largement dominé par les voitures propres. Toutes les grandes marques y sont allées de leurs modèles, qui vont de l’hybride à l’électrique, avec pour souci de minimiser la consommation de pétrole et de réduire les émissions de CO2 afin de retrouver une meilleure santé. 

Energies nouvelles, technologies propres, voitures vertes, ce sont là les pistes les plus empruntées par les investisseurs de par le monde, faisant converger le souci capitalistique avec l’impératif environnemental. 

En matière d’énergies nouvelles, la Région Nord du Maroc est bien dotée pour abriter les projets les plus ambitieux, avec un vent d’une vitesse dépassant les seuils de rentabilité rapide pour les champs éoliens (10 m/seconde en moyenne face au besoin minimum de 4 m/seconde pour commencer à produire de l’électricité). Cette région a abrité dès 2000 son premier parc éolien de Koudia Al-Baïda avec une puissance de 50,4 MW. Elle a ensuite accueilli le parc de 10 MW qui a permis au cimentier Lafarge d’entrer dans le cercle des entreprises mondiales bénéficiant du Mécanisme de développement propre du Protocole de Kyoto. Et si les prévisions sont respectées, un troisième parc éolien, promu par l’ONE et construit par l’espagnol Gamesa, viendra s’ajouter aux précédents en 2009 avec une production de 140 MW.

Tout cela est fort louable. Mais par comparaison, en face de Tanger, la région d’Andalousie en est déjà à 1500 MW d’éolien. Et du côté du Portugal, au sud, la plus grosse centrale solaire du monde – pour l’instant : la centrale photovoltaïque d’Amareleja, vient de démarrer avec une capacité de 46 MW.

Compte tenu des avancées technologiques, il aurait été si judicieux d’annoncer, en même temps que la mise en chantier de la plateforme industrielle, son approvisionnement exclusif par l’énergie renouvelable avec un objectif chiffré bien précis. Cet engagement aurait fait de cette plateforme une zone libérée de la dépendance aux énergies fossiles, et des conséquences de toute éventuelle et fort probable crise pétrolière à venir. A un moment où la communauté internationale se mobilise pour lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de CO2,  et compte tenu des revenus financiers qui découleraient de la vente des crédits carbone issus de ce projet, l’annonce aurait été profitable à plusieurs titres.

Par ailleurs, sur les 5000 Ha prévus pour cette plateforme, les activités prévues seront, d’après les responsables, essentiellement liées au secteur automobile, aux métiers et services associés, ainsi qu’au textile, à l’électronique et à l’offshoring hispanophone. Là encore, il est regrettable de constater que l’avenir reste la dimension manquante du projet. Mais rien n’est perdu : il est permis de garder espoir que sur ce site une part significative pourrait être réservée à l’implantation, avec des incitations encore plus attrayantes, de métiers nouveaux liés aux technologies propres qui progressent partout dans le monde.

Et si le projet en cours de réalisation par Renault Nissan dans la région demeure le point d’ancrage de bon nombre de futurs investissements, serait-il incongru de s’interroger sur la nature des 200 000 véhicules par an qu’il est prévu de produire à fin 2010 ? Seulement des low-cost, dévoreuses de carburant et polluantes, et peut-être moins séduisantes d’ici-là, ou alors, une partie de cette production pourrait rejoindre la flotte de voitures électriques que Renault promet de mettre en circulation en 2011 ?

Les secteurs économiques d’avenir, produisant une croissance verte, auraient bien leur place dans le projet de développement du Nord. Il n’est jamais trop tard pour espérer un rattrapage salutaire.