L’initiative prise par Ali El Himma de lancer ce qui n’est encore qu’ « un mouvement de tous les démocrates », a soulevé, à juste titre, beaucoup de commentaires. La concomitance de l’évènement avec les difficultés que traversent les principaux partis politiques marocains ajoute de la matière, surtout depuis la révélation au grand jour de ces difficultés par le scrutin du 7 septembre…
Jusqu’à présent, deux types de commentaires. Avec beaucoup de nuances bien entendu dans chacun des deux camps. Le premier, dénonciateur, met en cause les distorsions que cette initiative peut provoquer, découlant de la proximité de l’initiateur avec le roi et donc avec tous les milieux influents du pays. Le second, approbateur, avance le droit de tous à l’action politique, la fragilité des partis classiques et leur impuissance à contrer la vague islamiste et la nécessité de remplir l’espace social et politique qu’ils ont abandonné. Le premier rappelle, bien entendu, les expériences passées du FDIC de Guédira, du RNI de Osmane, ou de l’UC pour prophétiser l’échec de l’initiative. Le second évoque le contexte plus démocratique du moment et le manque d’encadrement de la société par les partis, en comparaison avec ce qui se passait lors des précédentes tentatives pour augurer un sort meilleur.
A mon avis, il y a place pour une lecture moins tranchée, moins manichéenne. Il faut tout d’abord rappeler que la situation politique actuelle ne supporte plus le statu quo. Et surtout ce clivage qui s’approfondit entre les partis et l’élite marocaine. D’un côté vous avez des structures avec des valeurs, une histoire, une implantation même relative, mais des structures qui se sont fermées sur elles mêmes, n’acceptant aucune mise à niveau. D’un autre vous avez des générations de personnes compétentes, ambitieuses qui veulent servir leur pays et s’engager politiquement mais qui ne se retrouvent pas dans ces structures. Des opérations commando ont été tentées pour ériger des ponts entre ces deux mondes mais la méthode employée fait que ces quelques hirondelles ne font et ne feront pas le printemps politique marocain…
A la lecture du document et des noms des signataires lançant l’initiative du nouveau mouvement, je ne vois rien de bien nouveau. Les mots employés et les profils des signataires meublent déjà notre scène politique. Tout cela aurait très bien pu cadrer avec la nécessaire refondation de l’USFP et de la gauche, en général. Bien sûr, je ne parle pas de l’USFP, ou de la gauche, dans leur état actuel. Mais de cette gauche à construire avec les valeurs de progrès, de modernité et de démocratie, celles-là même qui sont évoquées dans le document.
En Espagne, lorsqu’il a été décidé que l’avenir du pays était dans, et seulement dans, le système de la monarchie démocratique et lorsqu’il a été clair que le paysage politique ne devait être laissé aux seules tendances structurées et présentes sur le terrain à l’époque : les franquistes et la gauche (y compris les communistes), l’initiative a été prise par Suarez, ami du Roi, de créer un parti qui occuperait le centre droit dans l’intérêt de tout le système politique espagnol. Voici ce qu’en dit Guy HERMET, dans son livre « l’Espagne au XXème siècle », qu’il est recommandé de lire et relire :
« Ayant consolidé la légitimité de la transition démocratique grâce au charisme royal et à la popularité personnelle qu’il acquiert en peu de mois, Adolfo suarez n’a plus qu’à parfaire son dispositif électoral. A cet égard, son objectif est d’assurer la victoire incontestable d’un parti gouvernemental modéré et dominant, doté d’une assise assez comparable à celle du parti gaulliste dans la France des années 1960 : tel est le rôle promis à l’Union del Centro democratico (UDC), formé en un tournemain et de manière sans doute trop expéditive au début de 1977. »
Trente ans plus tard, la démocratie est bien installée en Espagne avec déjà trois alternances réussies. En 1982 entre UCD et PSOE, en 1996, entre PSOE et PP (héritier de l’UCD), puis entre ces deux partis en 2004, avec la disparition des amis du Roi et l’apparition de leaders qui n’avaient eu aucun rôle dans l’installation de la démocratie espagnole comme Aznar, Zapatero et d’autres…
Bien sûr, le Maroc n’est pas l’Espagne… Mais si une leçon devait être retenue, c’est bien celle de l’espace à occuper par toute nouvelle formation, et le rôle qui lui est promis. En termes de projets et de ressources humaines. Aujourd’hui le camp de gauche a besoin d’être renforcé, rassemblé. Le camp du progrès et de la modernité n’a pas besoin de subir de nouvelles divisions. Aujourd’hui, il y aurait par contre besoin d’un grand parti conservateur démocrate qui contrecarre les visées hégémoniques des islamistes et qui crée l’émulation et les conditions des véritables alternances politiques, seules garantes de la stabilité du régime démocratique.