Averroès ou le prix de la tomate

Un jour, au parlement marocain, un député gêné de ne rien comprendre dans une conversation, s’est insurgé, utilisant la stratégie ‘se défendre en attaquant’ : « moi, je ne comprends pas ce que vous dites mais, moi, je connais le prix du pain. » Les autres ignorants l’ont bien sûr applaudi.

Ce monsieur faisait du populisme sans le savoir (il ne sait rien, sauf le prix du pain, et de cela je ne suis même pas sûr). Tout comme Jourdain de Molière faisait de la prose sans le savoir (mais ça, ce député, il ne le sait pas).

Les adeptes du ‘affame ton chien il te suivra’, devenu ‘abêtis l’humain il t’applaudira’, réussissent à merveille. Ils occupent les devants de la scène et proclament détenir le seul savoir utile : le prix du pain !

Comme le richard, chantre de la démocratie, qui ouvre une de ses anciennes usines pour les jeunes mais sans bibliothèque, sans livres, sous prétexte que cela ferait intellectuel.

A quoi cela sert de connaître Averroès, si l’on ne connaît pas le prix du pain, ou de la tomate ? Question en apparence pertinente mais qui renferme en quelques mots, tout ce contre quoi nous devons nous battre.

En l’étendant un peu : Le savoir n’est pas du pain (ni de la tomate), ça ne se mange pas. Et le pas est vite franchi : L’éducation et la culture ne servent à rien. A quoi sert la culture, la connaissance, si l’on n’est pas dans la vie réelle ? On connaît le discours, avec un peu de connaissance historique, on sait que tous les dictateurs et démagogues l’ont tenu et le tiennent encore …

Averroès ou le prix de la tomate ? Comme si la connaissance et la vie réelle sont des destinations opposées, lointaines. Comme si tous les écrivains et penseurs doivent d’abord connaître la liste des prix des produits de consommation avant de chercher à nous éclairer ou à nous divertir.

Comme si l’on devait absolument choisir entre les deux. Et donc forcément, notre choix doit se porter sur le prix de la tomate … Pourquoi aller là-haut, restons ici, entre nous ! Pour être dans le troupeau, maintenu dans l’ignorance et la paresse, dépouillé de sens critique et de curiosité, complice du berger qui le conduit à l’abattoir.

La connaissance, le savoir, c’est ce qu’il y a de plus beau dans la vie ! C’est le sens de notre existence sur cette planète. C’est ce qui permet de connaître la vie, de savourer la vie, d’apprécier la tomate et le pain…