Par une belle matinée, dans un café sur la corniche de la plage d’Agadir, le client demande au serveur:
-Comment vont les affaires?
-Pas terrible, répond-il, les marocains viennent moins qu’il y a quelque temps..
-Ah oui, c’est normal, c’est la crise mondiale.
-Mondiale? S’étonne le serveur. Non, la crise est chez nous. Tout cela est comédie. Ils (les puissants, sans doute) retrouveront bien le chemin de la prospérité.
Et il poursuit en chuchotant :
-Ils ont de quoi construire plusieurs Maroc…
Rien de scientifique dans ce jugement, bien sûr. Qui visiblement ne tient pas compte des chiffres tranquillisants qu’on ne cesse de publier sur la bonne santé de l’économie nationale.
Mais cette opinion est largement partagée chez nous. Une opinion fondée sur un raisonnement tout simple: « des gens, comme eux, dans les pays riches, aussi travailleurs, aussi intelligents, aussi bien organisés, ne peuvent que s’en sortir. Des gens, comme nous, aussi fainéants, aussi peu inventifs et mal organisés, ne peuvent que s’enfoncer. »
La crise, en fait, se réduirait à une stratégie élaborée par les puissants pour rénover leurs outils, renouveler leur puissance. En somme: reculer pour mieux sauter…
Est-ce seulement l’expression du dépit, l’aveu d’impuissance de citoyens désabusés?
La crise financière que connaissent les pays industrialisés, depuis quelques mois, est de toute manière porteuse d’instructions, comme en témoigne le débat qu’elle provoque.
Jamais, les dirigeants politiques des pays riches n’ont autant communiqué, ne se sont autant réunis, comme par souci de reprendre le dessus, de prendre leur revanche, de démontrer leur utilité.
Jamais les articles de presse et les débats télévisés, décortiquant la société et l’économie, n’ont autant proliféré.
Dans ce maelström de news, de décisions, de communiqué, d’articles, d’analyses, comment s’y retrouver, garder ses repères?
La crise actuelle coïncide avec le passage de témoin à la Maison Blanche. Si par le passé le système institutionnel américain était tellement robuste que n’importe qui pouvait en prendre la direction, aujourd’hui, le leadership (qui ne se limite pas au président) doit revenir à la compétence et à l’ingéniosité.
Les thèmes les plus en vue de la campagne présidentielle américaine révèlent les domaines dans lesquels les changements pourraient intervenir.
L’économie, le marché financier, le pétrole, l’énergie, les guerres au Moyen Orient, sont des dossiers étroitement liés les uns aux autres.
Dans un article au Newseek, Fukuyama, inventeur du choc des civilisations, parle de chute de la Compagnie Amérique, en expliquant ce qui se passe par la fin du modèle Reaganien, construit depuis plus de deux décennies, sur deux principes : l’autonomie des marchés (très peu d’État dans l’économie) et la promotion de la démocratie (même par la force). Dans ces deux domaines, les retombées ne sont pas que positives. Loin de là. Pour éviter la chute, la marque Amérique a donc besoin de renouveau.
Les stratèges du futur président américain, qui n’ignorent pas que dans l’histoire des Nations la décadence résulte souvent de l’épuisement par les guerres, sauront conseiller l’arrêt des conflits qui coûtent plus qu’ils ne rapportent. En particulier au Moyen-Orient, en minimisant la dépendance au pétrole de cette région et en s’assurant d’autres sources d’énergie qui permettent du même coup de combattre le changement climatique, source de menaces avérées.
McCain n’avait-il pas dit que « les Etats-Unis devraient cesser de payer 700 milliards de $ par an pour acheter du pétrole à des pays qui ne nous aiment pas »? Une idée que la majorité des décideurs américains partage sans réserve.
Si le moteur des mandats de G.W. Bush carburait au pétrole et privilégiait l’explosion, il y a fort à parier que son successeur ne pourra pas rester indifférent aux voix qui revendiquent une autre direction.
Les investisseurs financiers ne s’y trompent pas en misant déjà fortement sur les nouvelles technologies liées aux énergies renouvelables, comme cela est décrit dans cet article du NY Times. Tandis que les analystes les plus influents décrivent déjà les contours de ce qui devrait être l’issue verte à la crise actuelle, comme par exemple dans cette vidéo d’une émission de l’ABC avec Thomas Friedman.
Profiter de cette crise pour réhabiliter le politique, asseoir son indépendance énergétique, développer de nouvelles technologies, renforcer son leadership mondial et en même temps redorer son blason, pourrait donc constituer l’agenda de la nouvelle marque Amérique.
Le serveur de la corniche d’Agadir ne s’y serait donc pas trompé. La crise serait chez nous plus que chez les autres!