Le concierge et le ministre

Le concierge de l’immeuble où j’habite ressemble à tous ceux d’entre nos concitoyens que les statistiques classent dans la frange inférieure des catégories sociales. Il est père d’une famille nombreuse, il a quitté sa campagne natale et, pour lui, insuffisamment productive pour venir chercher du travail en ville. Il fait partie des chanceux dont la recherche a pu aboutir.

Alors, il est là tous les jours que le bon dieu fait, installé sur un vieux fauteuil de récupération à l’entrée de l’immeuble ou sur le trottoir d’en face selon l’ensoleillement. Quant au travail pour lequel il est payé, il a tout simplement trouvé le moyen de le sous-traiter. C’est sa femme qui s’en occupe. Elle fait le ménage et veille à la propreté des lieux. Lui, il somnole sur son fauteuil, la tête protégée par sa taguia, un couvre chef dont il ne se sépare jamais. Lorsqu’il se lève, c’est pour faire quelques pas jusqu’au détaillant de cigarettes. Il en achète une et revient à ses méditations.

Notre concierge a très bien saisi les règles de fonctionnement de la société d’aujourd’hui. Et surtout la plus importante d’entre elles : tout est basé sur l’argent, et tout se monnaie. Même les plus petits services. Même le sourire. Vous lui tendez la main pour dire bonjour, il vous offre la sienne et vous gratifie d’un sourire dont la largeur dépend de la valeur du billet que vous lui glissez. Si à la fin du mois vous lui donnez plus que son dû, il sera avenant avec vous. Il fera quelques efforts pour vous être agréable. Dans le cas contraire, il ne vous verra même pas passer.

Car voyez-vous, notre concierge comme tout le monde d’ailleurs, trouve qu’il est sous-payé pour le travail qu’il fait. Alors il rééquilibre ses bilans comme il peut.

Mais à y voir de plus près, notre concierge n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de pauvre. Il est logé, et même souvent nourri par les résidents de l’immeuble. Il dispose même d’une télé. Mercredi dernier, il a regardé le match de football. Il a regretté la défaite imméritée de notre onze national. Mais à la fin du match, il n’a pas zappé sur l’autre chaîne. Il n’a pas fait ce que les responsables de nos deux chaînes ont prévu que le téléspectateur moyen ferait. Le foot puis la politique, c’était entendu dans cet ordre. Non, lui, il en est resté au foot. Et il est allé se coucher. La politique ne fait pas partie de ses centres d’intérêt.

Il n’aura donc pas vu notre ministre des finances se débattre pour convaincre le contribuable à plus de sens civique et de citoyenneté. Il ne l’aura pas entendu répéter des centaines de fois un tic de langage révélateur d’embarras et d’incertitude. Notre concierge s’est fixé d’autres règles pour mener sa vie…