le Maroc et le changement climatique

(Paru dans le journal L’Economiste du 31 août 2007)

Vienne, capitale diplomatique par excellence, abrite en cette fin d’août une rencontre importante de l’ONU sur le changement climatique qui a vu la participation d’un millier d’experts et de politiques.
Le Maroc, parmi 158 autres pays, y est représenté pour négocier les mesures globales à prendre pour faire face aux effets négatifs de ce phénomène planétaire.

Quel intérêt pour le Maroc de participer ?
Dans le cadre du processus mené par l’ONU et qui attire de plus en plus l’intérêt de tous les acteurs dans ce monde globalisé, le Maroc doit assurer une présence agissante. Il doit montrer qu’il ne se contente pas de demander à la communauté internationale de le soutenir dans son combat pour sa cause nationale. Mais qu’il contribue également à la solution des phénomènes globaux.
Le Maroc a déjà une présence reconnue sur la scène internationale en matière de lutte contre le changement climatique. C’est à Marrakech en novembre 2001, en effet, dans un contexte politique mondial compliqué, que des accords importants avaient été accomplis pour l’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto.

Mais, en plus de l’intérêt politique, le Maroc a aussi besoin d’être à l’avant-garde des pays pour tirer le plus grand bénéfice des dispositions prises pour affronter le changement climatique. Sur le plan économique et technologique.

Quelles sont les réponses envisagées par la communauté internationale ?
Deux pistes sont examinées depuis plus d’une décennie dans le processus conduit par l’ONU. Une de long terme. Celle de la réduction des émissions des gaz responsables du réchauffement. Et celle de l’adaptation, aujourd’hui, aux effets dévastateurs déjà en cours.
En matière d’atténuation, le Protocole de Kyoto fixe aux pays industrialisés, sans les Etats-Unis qui s’en sont retirés, l’obligation de réduire une moyenne de 5% de leurs émissions avant 2012. Ceci n’est pas suffisant. Tous les rapports scientifiques diffusés récemment montrent qu’il faut être plus ambitieux.

Pour l’après Kyoto, les négociations sont en cours pour fixer des objectifs plus à la mesure de la menace qui se précise de jour en jour.

Une étude réalisée par l’ONU sur la base de travaux économiques, techniques et scientifiques révèle que le potentiel de réduction des émissions pour les pays industrialisés se situe entre 20% et 40% d’ici 2020 par rapport à 1990, si l’on veut limiter la hausse des températures à seulement 2°C. Voir rapport au : http://unfccc.int/resource/docs/2007/tp/01.pdf.

Pour y arriver, la volonté politique est indispensable. Mais il faut aussi mobiliser les secteurs économiques et les nouvelles technologies pour construire cette nouvelle économie mondiale qui se dessine à l’horizon très proche.

Lors de la rencontre de Vienne, une autre étude de l’ONU a été présentée. Dans ses conclusions, il est estimé que pour revenir au niveau des émissions actuelles en gaz responsables du réchauffement climatique, plus de 200 milliards de dollars d’investissements de flux financiers seront nécessaires d’ici 2030.
Il s’agit des efforts financiers à faire dans les secteurs de l’énergie, de l’industrie, de la construction, etc dont presque la moitié devront aller aux pays en développement.

Pour l’adaptation, les besoins se montent à plusieurs dizaines de milliards de dollars, dont la part qui doit revenir aux pays en développement est estimée entre 28 et 67 milliards de $.
Déjà, le mécanisme de développement propre instauré par le protocole de Kyoto pour faire coopérer pays riches et pauvres dans des projets visant la réduction des émissions crée un flux financier de 25 milliards de $. Et on peut s’attendre à une augmentation importante. Surtout si le nouveau régime qui se met en place est suffisamment ambitieux.
L’enjeu financier est par conséquent considérable. Le Maroc doit y prendre sa part.

Comment le Maroc peut-il s’intégrer dans cette nouvelle économie ?
Le Maroc est un pays vulnérable au réchauffement climatique. La hausse des températures et la baisse des précipitations dans notre région auront des impacts négatifs sur nos ressources en eau, sur notre agriculture, sur notre littoral, bref, sur notre développement.
Dans ce contexte, le Maroc est confronté à deux problèmes de taille : l’eau et l’énergie.

La politique des barrages menée pendant quatre décennies a permis de mobiliser des quantités considérables d’eau. Mieux encore, ces eaux mobilisées avaient même permis de fournir de l’énergie à un coût intéressant.

Avec le dérèglement climatique, et l’envasement qu’ils connaissent, ces barrages ne mobilisent plus autant que par le passé et mobiliseront encore moins dans le futur. La réponse à nos besoins en eau passe par une meilleure gestion de l’existant, par le recyclage des eaux usées, mais aussi par le dessalement d’eau de mer. Mais cette solution, malgré les progrès technologiques, reste encore gourmande en énergie.

Après avoir obtenu de l’énergie à partir de l’eau, le Maroc doit maintenant se tourner vers les sources nouvelles d’énergie pour assurer son approvisionnement en eau.

Ces problèmes se trouvent au croisement des efforts pour l’atténuation et l’adaptation. La communauté internationale est de plus en plus convaincue qu’il est indispensable de créer des mécanismes de partenariat permettant de répondre aux besoins des pays en développement tout en facilitant l’accomplissement des objectifs de réduction d’émissions des pays riches.
Par exemple, lorsque le Maroc construira des stations de dessalement d’eau de mer fonctionnant à l’énergie éolienne, et cela est déjà possible, il contribuera à l’effort global de réduction d’émissions et pourra en tirer des avantages financiers.

Qu’est-ce qui rend ces négociations aussi complexes et longues ?
Il ne s’agit rien de moins que de bâtir une nouvelle société mondiale. Dans cette société, de nouveaux modes de vie s’organiseront autour de nouveaux modes de production et de consommation. Il est donc normal que des craintes, des résistances se manifestent. L’administration américaine n’accepte pas que le mode de vie des américains soit transformé par la volonté des autres pays. Elle s’oppose donc au processus en cours. Mais des signes montrent qu’il y a tout de même une inflexion dans cette position. D’ailleurs G. Bush a invité les dirigeants des 15 pays les plus grand émetteurs à une réunion le 28 septembre à Washington pour prendre la direction d’un processus dont on peut s’interroger s’il ne va pas concurrencer celui mené dans le cadre de l’ONU. Par ailleurs les pays émergents (Inde, Chine, Brésil, Afrique du Sud) n’acceptent pas que l’on exige d’eux ce que l’on demande aux pays industrialisés en terme de réduction d’émissions. Lors de la rencontre de Vienne, l’Inde a fait une présentation démontrant que la réduction d’ici 2036 de 9% de ses émissions lui coûterait 2500 milliards de dollars. La Chine quant à elle ne cesse de répéter que sa contribution est dépendante de son accès aux technologies permettant la production propre. A ces pays s’ajoutent, tous les pays exportateurs de pétrole qui réclament des compensations en prévision des pertes de revenus que ce processus va occasionner sur leur économie.L’Union européenne a une position plus ambitieuse. Mais il faut y voir de la part de cet ensemble politique, une volonté politique d’affirmation dans ce monde qui bouge et une aspiration au leadership technologique.

Quelles sont les étapes à venir ?
Le 24 septembre au siège des Nations Unies, les chefs d’Etat sont conviés à une réunion de réflexion et d’échange sur les diverses options à prendre pour après 2012, année d’expiration du protocole de Kyoto. Déjà, Sarkozy, Zapatero, Prodi et Merkel ont annoncé leur participation. Les travaux de Vienne vont certainement éclairer ce sommet qui se tient quelques semaines avant la grande Conférence de Bali où des décisions concrètes devront être prises.
Le Maroc a beaucoup de choses à dire à l’occasion de ce sommet. Il y va des intérêts diplomatiques nationaux mais aussi pour son insertion dans le développement durable global.