Négociations pour un gouvernement : et si on parlait du fond !

Paru sur l’économiste
Au lendemain de sa désignation à la primature, A. El Fassi a fait parvenir aux différents partis de sa majorité l’architecture du gouvernement tel qu’il comptait le constituer.

La principale innovation de cette architecture, rapportée par la presse et par les sources partisanes, est que le département de l’eau a été regroupé au sein d’un même ministère en charge de l’équipement et du transport.

Ceci voudrait dire que le prochain gouvernement a choisi de revenir à la politique de mobilisation des ressources (barrages et transferts) et de rompre avec la politique menée pendant les cinq dernières années et qui prônait l’économie de la ressource et le développement de nouvelles pistes (recyclage, dessalement).

Ce choix stratégique constituerait un retour en arrière par rapport à la politique menée par l’actuel ministère de l’aménagement du territoire, de l’eau et de l’environnement.

Pour rappel, cette politique puisait sa justification dans une réalité indiscutable qu’on peut résumer ainsi : les ressources en eau diminuent, leur qualité se dégrade et les besoins augmentent.

Cette orientation politique, soutenue par les institutions financières ainsi que par de nombreux pays amis, a déjà permis de mobiliser des fonds conséquents destinés à en assurer la mise en place.

A la lecture du programme du parti de l’Istiqlal, tout cela serait abandonné au profit d’une politique équipementière telle qu’elle a été explicitée dans le programme de ce parti : « Initier dès 2008 les grands chantiers de transfert d’eau pour assurer une répartition équitable des ressources en eau notamment vers les zones déficitaires tout en poursuivant le programme de réalisation des barrages hydrauliques (réaliser 12 grands ouvrages et 60 moyens et petits ouvrages avant 2012) ».

Sans entrer dans une discussion technique, qui d’ailleurs aurait du être menée durant la campagne électorale, il n’est pas inutile de faire remarquer que cette politique ne tient pas compte des leçons du changement climatique auquel le Maroc est vulnérable, avec pour principal effet une baisse indiscutable des précipitations. Et donc de l’inutilité de dépenser des ressources financières astronomiques pour la réalisation d’ouvrages, condamnés à l’avance en ces temps de sécheresse confirmée et dont la remise en cause est générale par l’ensemble des pays comparables au notre. Comme le rappelait un expert mondial, ce n’est pas parce qu’on s’achète un beau portefeuille que l’on est assuré d’avoir de l’argent dedans. Cette non prise en compte apparaît d’autant plus surprenante à un moment où tous les grands pays dessinent leurs politiques en fonction du changement climatique et que la communauté internationale sous la direction de l’ONU a placé cette question au sommet de ses priorités !

Et s’il est tout à fait légitime, pour plus d’efficacité et de rationalisation des dépenses, de procéder à des regroupements ministériels, pourquoi a-t-on procédé au rassemblement de gros départements alors qu’on aurait mieux fait d’appliquer ce principe à des départements comme la culture et la communication, ou encore les relations avec le Parlement et le Secrétariat Général du Gouvernement ?

Malheureusement, ce débat n’a pas lieu. Plus que sur les attributions des départements et les politiques qui doivent être menées, les discussions et les commentaires semblent se focaliser sur la répartition des portefeuilles et le sort de telle ou telle personne.

La question de l’eau, qui doit être prioritaire et pour laquelle l’Etat et toute la société doivent se mobiliser sans retenue, n’apparaît plus dans les discussions et tractations en cours. Et particulièrement entre le premier ministre et le dirigeant de l’USFP, qui connaît pourtant la gravité de l’enjeu.

En matière de politique de l’eau, vitale pour l’avenir de ce pays, l’opinion publique, nos partenaires étrangers comme les observateurs avertis sont en droit de connaître les motivations de ce changement de stratégie.

Ils ont le droit de savoir pourquoi le ministre jusqu’ici en charge de l’eau s’accommode-t-il aussi facilement avec ce revirement. Un revirement qui ignore l’engagement pris dans le programme électoral défendu par son parti et qui enterre les efforts, les moyens et les ressources déployés durant les cinq années de son ministère.