Assurance

Par ce beau matin, je marche sur le trottoir en observant autour de moi, comme d’habitude, les gens et les choses.

Quelqu’un vient interrompre mes observations et réflexions. Il me salue comme il est maintenant d’usage depuis la flambée des prix du baril il y a de cela quelques décennies, d’un ton qui se veut fraternel. Je réponds en lui souhaitant une belle matinée. Il me tend un document que je reconnais facilement. Une police d’assurance.

Le monsieur devait avoir entre quarante et cinquante ans. Bien habillé, il ne semble pas être dans le besoin. Il me tend le papier en posant la question pour laquelle il s’est permis d’interrompre ma marche, d’un air obséquieux devenu très répandu dans notre société. Le monsieur veut-il me demander de lui payer son assurance ?Comme ces autres personnes qui vous tendent leur ordonnance médicale pour vous demander de leur payer les médicaments ?

Je ne tarde pas à être fixé.
« Pouvez-vous me dire si cette assurance est encore valable ? » Me demande-t-il.
Je n’en revenais pas. Est-ce un poisson d’avril ?
Je jette un oeil sur le monsieur puis un autre sur la feuille jaune qu’il tenait entre ses doigts.
J’ai du mal à croire mes oreilles.
Je me méfie.
Serait-il en train de préparer un coup ? En plein jour ? En présence de tous ces passants ? Pas loin de deux agents de police ?

Je regarde la police d’assurance de plus près. Je repère la date d’échéance, et je lis à haute voix : 15 mai 2021. L’expression de son visage ne me donne aucun signe de compréhension. Il répète sa question initiale. Je réponds que son assurance est encore valable pour deux mois.
Rassuré, il plie son document et marmonne une phrase devenue usuelle depuis la flambée des prix du baril et qui fait office de remerciement.

Je reprends ma marche. Je lève les yeux. Vous ne me croirez pas. Une pancarte bien en vue indique : IBA – Institut de Banque et d’Assurance. Les professeurs et lauréats de cet institut savent- ils que les assurés peuvent être illettrés ?

Et les banquiers ? Cet institut ne sait certainement pas que j’ai reçu de la part du chef de l’agence de ma banque un mail qui se termine ainsi :
« Apres vous connecter une 2ème fois sur application.
Inchallah cava marché
»

Ce cadre supérieur d’une banque bien en vue ne cherche plus à se casser la tête à peaufiner le mail pour son client. Son objectif est déjà atteint. Il n’est pas au chômage et il est assuré de ne rien risquer. Il a certainement une voiture dont il sait lire la police d’assurance.

De fil en aiguille, mon cerveau me rappelle, je ne sais pas pourquoi, le message de cette autre personne qui envoie une demande d’intégration dans un programme universitaire. Il était rédigé en ces termes :
« 3afak ana darori mahtaja l had formation 3andi un projet wach ta9dar tgol liya kifach nakon m3akom »