Depuis ma jeunesse, chaque parution d’un nouveau livre d’Abdallah Laroui a toujours été un événement majeur pour moi. Je lui ai consacré un chapitre entier dans mon livre intitulé « Héritages ». Originaire d’Azemmour, cet intellectuel marocain aux talents multiples se distingue comme l’une des figures les plus éminentes et productives parmi les penseurs arabes contemporains.
Carnets Covid est son livre le plus récent. Dans ce livre, Abdallah Laroui prend des positions qui devraient provoquer des débats, nourrir la réflexion de nos décideurs et les décisions de ceux qui réfléchissent encore.
Ecrit sous forme de journal, ce livre, malheureusement entaché de trop de coquilles, emprunte des chemins sinueux pour, de temps à autre, agiter un petit drapeau, comme par exemple à la page 64 : « Le pays ne sera pas classé parmi les démocraties pures … parce que l’égalité entre les sexes n’est pas pleinement assurée, pas plus que la liberté de conscience et de moeurs. » Propos corroborés par l’alarmant dernier rapport du HCP sur la participation des femmes au marché du travail.
Puis un autre, page 140 : « Dans le nationalisme lui-même, quels qu’aient été ses bienfaits, il y avait le germe du radicalisme religieux. »
Puis un autre, page 141 : « J’ai pris conscience que beaucoup de nos problèmes, sociaux ou politiques, viennent de ce que les ulémas nous ont imposé leur interprétation du Coran, fondée dans la plupart des cas sur une lecture parcellaire du texte sacré. »
Maître Abdallah n’hésite pas à évoquer sa propre fin dès le début de son livre : « Jamais je n’ai pensé vivre jusqu’à cet âge (90 ans) … Pourtant je me suis toujours soucié des embarras que ma mort et tout ce qui la précède pourraient créer pour mes proches. »
Je recommande vivement la lecture de ce livre testament dans lequel notre maître regrette que « ceux qui peuvent encore entendre la voix de la raison, au sens classique du mot, sont devenus une minorité silencieuse. » Avant de préciser : « Si j’avais encore le temps et le désir j’écrirais un texte où je répondrais à ceux qui prétendent que je me contredis sur certains points, essentiellement sur les deux sujets brûlants de la langue et du Sahara. »