Feuilles d’hiver (6, 7 et 8)

6. Depuis son bureau au Massachusetts, Herman Melville écrit sur l’arrivée à Massa, de l’autre côté de l’océan, du prophète Jonas voyageant dans le ventre d’une baleine. 

Il y a de cela des millions d’années, Massa et les îles Canaries faisaient partie, avec l’île de Madère, du continent africain. Une plaque terrestre abritant cet arbre mythique, endémique, l’Arganier. Majestueux dès qu’il pleut, souffrant sous la menace de la chaleur et des prédateurs. Un arbre capable de vivre des siècles grâce à des racines allant jusqu’à 25 mètres en profondeur. Cette plante mythique qui peut atteindre 10 mètres de haut, rempart solide, jusqu’à présent, contre la saharisation. 

Cet arbre qui a donné son nom à la plage Arguineguìn. Cette plage canarienne, en face du continent africain, qui voit s’échouer par beau temps les immigrés clandestins partis de chez eux à la recherche de ce qu’ils désespèrent d’avoir chez eux.
L’île de Madère, ce rocher perdu dans l’océan atlantique, abrite des séguias en tout point similaires à celles que l’on retrouve dans les oasis de la région du Souss et ailleurs. Des séguias qui ont servi à l’adduction de l’eau pour irriguer les plantations de canne à sucre. Exactement comme dans le Maroc des Saadiens, il y a de cela quatre siècles.

Inéluctable, alors, la saharisation du Souss, ce pays que j’aime tant ? Ces vallons, ces collines, ces arganeraies disparaîtront-ils un jour ? Comme l’ont fait avant eux dinosaures et autres végétations ? Les vents de l’est transporteront-ils de nouveau ces poussières chargées de fertilisants pour d’autres voyages au secours de l’Amazonie, déjà en souffrance ?

En marchant un jour de cet hiver, dans l’arrière pays sec à en pleurer, bientôt cicatrisé par une voie rapide si indispensable, je tombe sur un livre mourant, ou plutôt déjà mort, aux feuilles froissées au pied d’un arganier qui a perdu ses feuilles et ne garde que ses épines.

7. Par un rude hiver en 1620, de l’autre côté de l’Atlantique, débarquait le navire dénommé Mayflower avec à son bord les 102 passagers anglais (dont la liste est consultable sur ce site web). Cette centaine de passagers qui allaient se démultiplier pour conquérir des terres et coloniser les peuples indigènes avant de faire une révolution contre les colons anglais.

Avant le Mayflower, en 1619, un autre navire, The White Lion débarquait en Virginie sur la côte américaine, avec à son bord les premiers africains, une vingtaine. Suivis par d’autres africains, qui seront mis au service des blancs émigrés d’Europe.

8. Lorsque je me trouve dans un avion et que je jette un coup d’oeil par le hublot sur les territoires survolés, aucune frontière n’est visible. Depuis quand les frontières et les passeports existent ? Inventé par un roi britannique au 15e siècle, pour des usages limités, le passeport est devenu aujourd’hui un baromètre de la puissance des nations. Le meilleur, le sésame par excellence, le passeport japonais. Normal ! Il s’agit d’une puissance économique. En revanche en 3e position, la Finlande, ce petit pays tranquille sans ressources naturelles ! En 89e position, le Maroc, ce pays stratégiquement placé, mais dont le passeport n’ouvre pas beaucoup de portes, en tout cas pas les plus recherchées.