Le 12 mars 1997, dans “Libération”

Ce jour là, je publiais un article sur les élections communales qui devaient avoir lieu en juin 1997. En voici quelques extraits:

Maintenant que le Souverain a donné les deux dates limites de l’échéancier électoral, à coup sûr, les imaginations vont se débrider et les calculs aller bon train. Dans de nombreuses têtes, la phrase « pourquoi pas moi » va tourner et tourner jusqu’à finir par s’installer. Et vu la qualité de la majorité de ceux qui occupent le terrain actuellement, il est normal que tout un chacun se livre à cet exercice onirique et cherche même à le concrétiser. En l’absence de cellules de formation au sein des partis, de filtres de sélection ou de moyens de canalisation dans la société, tout un chacun peut s’improviser candidat et afficher les ambitions les plus hautes.

En attendant qu’une vraie droite se structure et voie le jour, les actuels représentants de cette mouvance ne lui rendent pas service. D’ailleurs, lorsque la question leur est posée, ils répondent qu’ils ne sont ni de droite ni de gauche. C’est logique, puisque pour eux, il n‘y a que deux choses qui comptent : les relations et le portefeuille. Fervents adeptes de la devise : « tous les chemins mènent à Rabat », pour eux les programmes, les valeurs, les idées, les idéaux, le long terme, les projets, le dialogue, la construction, l’écoute du citoyen ; tout cela n’est que de la menue monnaie. Par contre, l’hypocrisie, la versatilité, la malhonnêteté, l’opportunisme représentent les valeurs de base sans lesquelles aucun succès n’est envisageable.

Pour ces gens-là, la fidélité à une appartenance partisane ou à une conviction idéologique ne comptent pas. Aux dernières élections, l’un d’entre eux s ‘est présenté à cinq suffrages, avec à chaque fois, une étiquette différente. Mais cela ne pose aucun problème, puisque seuls comptent les appuis dont il dispose et l’apport sonnant et trébuchant qu’il mettra dans l’escarcelle du parti auquel il demandera l’investiture.

Ces hommes-là ne lisent pas, ne travaillent pas, n’ont aucun sens du service public. Ils n’ont jamais fait d’études supérieures ni fréquenté les lieux du savoir et de la connaissance. Ne comptez surtout pas les voir parmi le public d’une pièce théâtrale ou à une quelconque manifestation culturelle. En revanche, ils sont prompts à s’afficher dans tous les lieux où il fait bon se montrer. De préférence, lorsque des caméras sont à l’œuvre et surtout lorsqu’une présence ministérielle est annoncée. En société, ils offrent le spectacle désolant des parfaits arrivistes.

Ils sont tous PDG de société, voire de plusieurs à la fois. Mais pour eux, les affaires ne peuvent se faire que lorsque l’on dispose d’une couverture politique. Alors ils ne lésinent pas sur les moyens. L’un d’entre eux, héritier d’une fortune que la rumeur locale dit astronomique, est prêt à tout dilapider pour assouvir ses obsessions politiques. Un autre vend à chaque élection une partie de ses biens pour le même objectif.

Entre eux, règnent des rapports ambigus mais réglementés. Ils copinent, s’acoquinent ou se chamaillent selon les saisons et les humeurs. Sachant qu’il y a moins de places que de prétendants du même bord, ils sont prêts à toutes les compromissions mais aussi à asséner les coups les plus tordus.

Pour la saison électorale qui s’ouvre, ils ont déjà les pieds dans les starting-block. Leur tactique est claire et simple. Ils postuleront à tous les mandats. Non parce qu’ils ont en tête le projet de développer une commune ou de participer au rayonnement d’une chambre professionnelle. Mais tout simplement, parce que ces mandats donnent droit à la candidature au suffrage indirect.