Maroc: regard récent de Lacouture

Jean Lacouture, journaliste talentueux spécialiste et grand ami des causes marocaines, vient de publier un livre avec un autre journaliste B. Guetta, sous forme de dialogue: « Le Monde est mon métier » chez Grasset.

Le journal le Monde, avec lequel ils ont tous deux collaboré, publie des extraits de ce livre dans un article paru dans l’édition du 6 novembre.

Un premier passage sur le colonialisme:  » je pense que la colonisation a été un moment de l’histoire objective, un moment d’affrontement extrêmement brutal entre des sociétés en voie d’industrialisation, ou déjà industrialisées, et des sociétés qui ne l’étaient pas encore.
A un autre moment de l’Histoire, cette inégalité des civilisations a été inverse. Entre les XIIIe et XVe siècles, nous avons été les « barbares » ou les « retardataires » face au monde arabo-musulman, pour ne pas parler des Chinois mille ans plus tôt. La roue tourne, mais, si nous nous plaçons au XIXe, je crois que la colonisation est un fait inévitable, que les sociétés européennes ont, à cette époque-là, une propension expansionniste irrésistible, comme la croissance d’un être humain du bas vers le haut. Je considère la colonisation comme un fait historique absolu. Cruel mais irrépressible »
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Puis sur le Maroc des premières années de l’indépendance: « Le Maroc de 1957 n’est pas indigne de l’indépendance acquise. Il est gouverné par des hommes capables. Le pouvoir est exercé selon des normes quasi démocratiques. Les « décolonisateurs » que nous étions n’ont pas trouvé matière, en cette enquête, à regretter la position que nous avions prise. Quelques années plus tard, Hassan II au pouvoir, ce sera différent.Il me fallait constater que Mohammed V avait été une heureuse exception, qu’il y avait dans ce pays des traditions féodales que quatre ou cinq décennies de protectorat n’étaient pas en mesure d’abolir. J’ai pensé que le Maroc se ferait par lui-même, que les forces s’équilibreraient, que le syndicalisme se développerait (ce qui n’a pas été vraiment le cas), que la démocratie serait une longue conquête. »

Et sur le présent: « Je pense qu’avancées et reculades se succèdent à un rythme assez régulier, et qu’en tout cas on ne transforme pas en quelques décennies des régimes qui ont vécu, tant de siècles durant, une intense insertion du religieux dans le politique, sinon du politique dans le religieux – insertion que la colonisation a aggravée en consolidant l’idée, en ces sociétés, que l’islam était le seul recours. »