Un français à Téhéran 2

Dans un précédent billet, j’avais reproduit les impressions d’un français vivant pour un stage d’études en Iran. Je poursuis la reproduction (amicale) de ses impressions sur ce pays placé en ce moment au centre de l’actualité internationale…



« Comme beaucoup de soirées à Téhéran, elle a commencé par une heure trente de quasi immobilisation dans les embouteillages de l’avenue Vali Asr, d’abord dans un bus bondé puis dans un taxi. Nous arrivons bien entendu au retard au festival, où nous devons retrouver une amie. Le cinéma est très grand, les affiches du festival ont un beau graphisme et la programmation sur 5 jours est très riche (plus de 50 films). Il va sans dire que cet événement est autorisé par le gouvernement. Nous nous installons dans la salle déjà noire, premier documentaire nullissime, mélange d’images de la nature du côté de Bushher (sud de l’Iran, côte du golfe Persique), d’effets spéciaux mauvais, de danses folkoriques et de commentaires douteux.

Rapidement nous fuyons la salle pour assister à la représentation d’un documentaire hollendais, intitulé ‘Four elements’, en présence de la réalisatrice. Le film est composé en quatre parties. Dans chacune d’elle, la caméra suit au plus près les corps de quatre groupes d’hommes. Les premiers sont des pompiers russes essayant, au moyen de lances à eau manuelles, d’éteindre de gigantesques feux de forêt au milieu de nulle part. Les seconds sont des marins pêchant l’araignée de mer au large de l’Alaska dans des eaux déchaînées au court de missions visiblement longues. Les troisièmes sont des mineurs allemands, noirs jusqu’à l’os d’avoir extrait le charbon. Les derniers sont des astronautes soviétiques qui se préparent pour affronter l’espace. Quelques minutes après le début du film, un des pompiers russes sort du sauna. Une main, sans doute d’inspiration céleste, vient interrompre le filet de lumière qui, de la pellicule à l’écran, transportait cette image impudique. Je ne comprends pas ce qui arrive mais la salle, visiblement au courant de ce genre de pratiques, se met à rire et à applaudir. Plus tard, les mineurs allemands sortiront de la mine pour retrouver sous la douche la couleur de leur peau. Une main surgira à nouveau, laissant voir la partie supérieure de l’écran et cachant à nos yeux innocents l’indécence. Déjà que le film avait des images extraodinaires (ponton du bateau balayé par les vagues dans la nuit et recouvert d’araignées de mer, bouleaux en feu filmés au coeur, image de la toupie brisant le charbon sous le contrôle d’hommes à la prunelle si blanche dans ces lieux), cette main vertueuse accroit encore mon excitation.
Deuxième partie : manger. Peu de restaurants sont ouverts à Téhran après 10h du soir. Nous en trouvons un, traditionnel. Il se trouve qu’un concert de musique folklorique accompagne le repas. Nous voulions juste nous remplir l’estomac avant de dormir, mais nous voilà partis pour manger en musique. Il y a dans ce lieu une ambiance bien étrange. La salle est quasi vide. Quatre tables, nous compris, sont remplies. Le manager des lieux est un hommes massif, le cheveu ras et l’allure dépressive. Une dizaine de vieux serveurs en costume sans doute traditionnel passent entre les tables, une affichette au mur invite les femmes à aider par leur comportement les responsables des lieux (cela veut dire qu’il faut qu’elles portent correctemement le voile, sinon le restaurant pourrait être fermé), les musiciens sont assis sur l’estrade en silence. Nous commandons nos plats, et puis voilà que la musique commence quand surgit un vieux chanteur fatigué. C’est fort, le chanteur n’est pas extraodinaire, nous n’arrivons pas à nous parler. Tout cela est un peu bizarre.

Alors que commence la deuxième chanson, le manager s’empare du micro, fait taire les musiciens et nous réprimande : nous sommes un mauvais public, nous n’applaudissons pas. Il faut applaudir, avoir de l’entrain nous dit il. La soirée commence à prendre un tour vraiment absurde, ca me plait. La musique reprend et nous applaudissons en rythme, en essayant parfois de reprendre nos fourchettes pour manger nos dizis (c’est délicieux, de la viande et des légumes cuits dans un bouillon. On verse d’abord le bouillon dans une assiette que l’on mange comme une soupe, puis on broit avec un pilon la vainde et les légumes et on mange avec du pain cet espèce de purée). Parfois, le manager vient à nos côtés et applaudit avec ostentation, nous nous sentons obligés de le suivre. Il y a entre 15 et 20 personnes dans la salle pouvant en accueillir une centaine.

Entracte, nous sommes relachés, nous pouvons enfin avoir une conversation. Mais très vite la musique reprend. Une voix vient d’ailleurs, et puis surgit un deuxième chanteur, avec un catogan gris, un collier de barbe, un costume au dessus d’une chemise jaune pale, un foulard en soie rouge noué autour du coup et dans la poche du costume, un morceau du même tissu. Il est d’un enthousiasme incroyable en comparaison de celui de son auditoire. En même temps qu’il tient le micro, il parvient à frapper des mains avec entrain. Tout en lui évoque les années 1970, on dirait un Claude François qui aurait vieilli sans avoir perdu sa joie de vivre un peu feinte. Il chante tous les tubes des années 1970 iraniennes, ce qui a ici un sens bien différent que la même chose en France. Nous applaudissons toujours, en prenant même peut être du plaisir, et en nous moquant de sa carte de visite, sur laquelle on le voit encore plus démodé qu’en vrai. Un peu fatigué, par le show (il est presque minuit), nous nous levons et le plus extraodinaire advient. Voilà que le chanteur entame l’hymne qui avait cours en Iran dans les années 1970. Les deux tables qui nous accompagnent encore sont debouts, et les gens chantent en coeur. Une femme, au fond et recouverte d’un tchador, fait de même.
Hier soir, je me suis endormi bien estomaqué. »