C’est la photo d’une vitrine tout à fait quelconque dans le paysage urbain marocain, qui ne choque pas, qui n’attire plus aucun commentaire. Et pourtant, cette vitrine, ou plutôt ce qu’elle expose, est révélatrice de la situation intellectuelle dans laquelle se trouve notre pays, comme l’ensemble des pays arabes. Cette vitrine d’un buraliste, en plein quartier chic de la capitale, reflète l’état dans lequel se trouvent notre production et nos goûts « littéraires ».
Le passé, l’irrationnel, la religion comme moyens uniques d’expliquer et comprendre le présent et le futur…
Si victoire il y a de l’intégrisme, elle n’est pas seulement matérialisée par l’annulation du Rallye Dakar ou par le procès de Ksar el Kébir. Elle n’est pas seulement reflétée par le nombre d’attentats et de victimes revendiqués par les fanatiques. Cette montée de l’intégrisme est intimement liée à la crise intellectuelle que traverse notre région arabo-musulmane. Elle s’en nourrit et elle l’alimente en même temps.
Le classement du Maroc dans le rapport 2007 sur le développement humain est certes inquiétant sur le plan national. Il doit pousser tous les responsables à revoir leurs stratégies dans le sens d’une plus grande prise en compte de l’être humain, pour sa formation, son autonomie dans la société. Mais ce travail lorsqu’il sera réellement pris au sérieux, il devra aussi accorder tout l’intérêt à l’épanouissement et à l’émancipation de l’individu. Ce classement médiocre est aussi à placer dans son contexte, déjà décrit par le rapport 2004 sur le développement humain dans le monde arabe, et qui nous classait loin derrière les autres pays, en termes de livres produits ou traduits, de journaux vendus, ou de connexions à Internet et autres critères culturels.
Le développement, le progrès, la modernité, la confiance en l’avenir ne se mesurent pas en PIB (qui est très élevé dans l’ensemble arabe)… Une évidence qui faisait l’objet d’un échange qui a eu lieu en 1883, et qui reste d’actualité, entre Ernest Renan et Jamal Din Al Afghani sur les raisons du déclin du monde arabe. Malgré les excès du philosophe français soulignés par le réformiste musulman, tous les deux étaient déjà d’accord pour dire que l’essor philosophique et scientifique ne reprendra librement chez les peuples musulmans que s’ils se dégagent de l’emprise serrée de la religion.
Voici d’ailleurs ce que disait Al Afghani dans sa réponse à Renan: « toutes les fois que la religion aura le dessus, elle éliminera la philosophie »… »surtout si elle est servie par le despotisme »…