Feuilles d’automne (7, 8 et 9)

L’automne est là, avec son vent qui fait frémir et ses couleurs qui adoucissent les paysages. Et cette année, il sera introduit à l’écosystème Connect Institute par des feuilles particulières, pleines de vie et d’idées à méditer. Des feuilles qui vous feront goûter à la quintessence d’œuvres de poètes, d’écrivains ou encore d’intellectuels. Feuilles d’automne est le dernier écrit de Taha Balafrej, fondateur de Connect Institute. Au nombre de 21, vous en découvrirez chaque semaine 3 feuilles sur cette newsletter. Prenez de quoi noter, installez vous confortablement, et laissez vous emporter par les pérégrinations intellectuelles d’un esprit original, avec en toile de fond le développement de la jeunesse marocaine.


7 Le Rideau, ce livre des livres, écrit par Milan Kundera évoque la jeunesse en ces termes : « Ils sont tous au début du voyage dans l’inconnu ; sans aucun doute, ils errent ; mais c’est une  errance singulière : ils errent en ne se sachant pas errants ; car leur inexpérience est double : ils ne connaissent pas le monde et il ne se connaissent pas eux-mêmes ; c’est seulement quand ils l’auront vue avec le recul de l’âge adulte que leur errance leur apparaîtra comme errance ; plus : c’est seulement avec ce recul qu’ils seront en mesure de comprendre la notion même d’errance. Pour le moment, ne sachant rien du regard que l’avenir jettera un jour sur leur jeunesse passée, ils défendent leurs convictions avec beaucoup plus d’agressivité que ne défend les siennes un homme adulte qui a déjà fait l’expérience de la fragilité des certitudes humaines. »

Errance, c’est le mot des maux. Chacun veut errer à sa manière. Une errance particulière pour des erreurs banales. Haruki Murakami, qui sera mentionné feuille 9, dans son livre intitulé La fin des temps donne sa façon de voir les choses : « Personne ne peut corriger ses propres défauts. En gros, à vingt-cinq ans, le caractère de quelqu’un est déterminé, et après ça, on a beau faire des efforts, il est impossible de changer sa nature profonde. Les problèmes viennent de la façon dont le monde extérieur réagit par rapport à ce caractère. »

8 La lecture n’est pas notre fort. Il faut laisser cela aux Occidentaux. Combien de fois mes oreilles ont laissé passer ces balivernes ! 
Mais alors, pourquoi le jeune Marocain, quand il n’est pas happé par les officines du repli, veut-il ressembler au jeune Américain ? Manger ce qu’il mange, parler comme lui, danser sur ses rythmes et chanter ses chansons ? S’habiller comme lui ? S’abreuver des mêmes séries que lui ? Jouer aux mêmes jeux vidéos ? Ne se rend-il pas compte qu’il confond objectifs et moyens ? 
Fond et forme ?

Les Américains ne lisent-ils pas ? Si, les statistiques sont édifiantes. Inutile de les rappeler. Il y a une baisse, bien sûr, comme partout. Mais les habitudes, les institutions, les mentors, les auteurs à succès, les bibliothèques, sont là pour rattraper le mouvement, traverser cette période. En France, le chef de l’Etat parraine La Grande Cause Nationale de la Lecture durant une année.

Un Américain grand défenseur de l’économie de marché, Seth Godin, ancien de Yahoo, recommande un aggiornamento des programmes éducatifs et propose entre autres : « Listening and speaking, reading and writing, presentations, critical examination and empathy. Can you read for content? Can you write to be understood? Can you stand up an express yourself, and sit still and listen to someone else who is working to be heard? What happens when we realize that no one is exactly like us? » 
Tout y est. Voilà le raccourci qu’il faut prendre. Le monde d’aujourd’hui a besoin de ce genre de compétences. C’est un Américain, ancien de Yahoo, qui le dit et s’emploie à le réaliser. Sera-t-il écouté par les responsables et les jeunes Marocains qui ne rêvent que de Yahoo et d’Amérique ?

9 Allons plus loin. L’Amérique n’est pas toujours bien vue. Allons du Maghreb, qui signifie pays du coucher du soleil, au Japon, Nippon, qui signifie pays du lever du soleil. Pour changer d’air,  je me suis lancé dans la lecture du livre de Haruki Murakami (né en 1949) intitulé La fin des temps. Un roman dont les personnages n’ont pas de nom, qui intrigue, qui secoue, qui ne révèle ses mystères qu’à petites doses mais qui fait confiance à l’imaginaire du lecteur. Le Kafka japonais est sublime. Honnêtement, parfois je me sentais perdu. Mais j’ai pu retrouver des repères de temps à autre. J’ai notamment annoté cet échange entre deux jeunes personnages Japonais : « Grand-père disait que l’éducation scolaire manquait trop d’efficacité pour produire des as. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? me demanda-t-elle.  
— Euh, oui, il a sans doute raison. Moi, par exemple, je suis allé seize ans à l’école, mais je ne vois pas à quoi ça m’a servi. Je ne parle pas de langues étrangères, je ne joue d’aucun instrument de musique, la Bourse, je n’y connais rien, et en plus je ne sais pas monter à cheval. 
— Mais pourquoi n’as-tu pas arrêté l’école, alors ? Si tu avais voulu, tu aurais pu arrêter n’importe quand, non ? 
— Ah, eh bien, ça… dis-je. (Je réfléchis un peu à la question. J’aurais pu arrêter, n’importe quand, c’était sûr.) À l’époque, ça ne m’est jamais venu à l’idée. Chez moi, ce n’est pas comme toi, c’était une famille tout ce qu’il y a de plus normal et ordinaire. Et je ne pensais pas devenir un as en quoi que ce soit. 
— Mais ça c’est une erreur ! fit-elle. Chaque être humain est prédisposé à devenir un as en au moins une chose. Mais les gens qui ne savent pas tirer parti de leurs dons les font disparaître, et la plupart des gens ne se retrouvent jamais au premier rang. »