Vite. Je dois faire vite. Le téléphone sonne. Je ne réponds pas. Je mets mes souliers. Je n’oublie pas le masque. La solution alcoolisée. Vite. Mes clefs ? Où sont-elles passées ? Ah, les voilà. Vite. Ils vont fermer. Je dois absolument y être avant la fermeture. Avec le virus, on ne sait jamais, peut-être qu’ils ferment plus tôt. Je roule. La circulation est fluide, peut-être la crainte du virus empêche les gens de se déplacer.
J’arrive, le gardien du parking comme partout au Maroc, est identifiable avec son gilet jaune, qui n’a rien à voir avec le mouvement l’an dernier en France de ceux qui voulaient que leur situation s’améliore, avant que ne vienne le virus pour la rendre encore pire. Non, le gilet jaune ici c’est pour soutirer quelques dirhams à toute voiture qui cherche à se garer quelque part, de préférence pas loin des administrations et des boulangeries.
Je sors vite de la voiture, il me regarde. Oui, je t’ai vu, oui, j’ai bien vu que toi aussi tu m’as vu. Je lui demande : c’est encore ouvert ? Oui, ils ferment dans une demi-heure. Ah, je suis sauvé.
J’entre, je suis les flèches, le préposé à la prise de température, ne me demande rien, peut-être que je n’ai pas la tête à être enfiévré. Je me mets dans la file en face du guichet. Juste à l’endroit indiqué au sol. Je me retourne, celui qui est derrière moi n’a pas les pieds sur les marques indiquées au sol. Je lui dis d’accoler ses chaussures sur celles indiquées dans le pictogramme. Il obtempère, en riant. Peut-être la terre va s’ouvrir à cet endroit et je vais me retrouver dans la cave, avec cette phrase, il arrache mon sourire et ma remarque : ou peut-être que tu vas être propulsé vers le plafond. Il ne laisse pas passer, il veut avoir le dernier mot : ah, j’aimerais bien m’élever. J’arrête. Mon tour est arrivé. Ma carte d’identité ? Ah zut, je ne l’ai pas, je l’ai oubliée, on ne peut pas faire sans ? je vous donne le numéro, je le connais par coeur. Rien à faire. J’ai compris. Celui qui est derrière moi est content, il se met au guichet.
Je cours ramener ma carte d’identité de la voiture. Je pense devant le gilet jaune. Je lui crie : Tu n’as pas honte ? Pourquoi ? Me dit-il. Tu ne m’as pas dit qu’il fallait la carte d’identité. Il éclate de rire. Un rire sincère. Et il répond quand-même, mais ce n’est pas mon travail ! Pour te punir, je ne te paierai pas, tu m’as fait perdre du temps. D’accord, me répond-il.
Je récupère ma carte et je cours vers le guichet. Toujours pas de prise de température, pourtant elle a certainement augmenté. Le préposé reprend son travail pour moi. Il appose des timbres qu’il prend soin de bien mouiller comme dans la préhistoire, il tape de toutes ses forces sur mes documents avec ses tampons multiples, comme au moyen-âge. Combien ? Je lui demande. 16 Dh, il me répond. Je prends un billet de 20 Dh et le mets sur la table. Je récupère les documents, je m’asperge généreusement les doigts de ma solution hydroalcoolique.
Je suis content, je me dirige vers la voiture. Au niveau du gardien, je m’aperçois que le préposé ne m’a pas rendu la monnaie de mes 20 Dh. Il a gardé pour lui 4 Dh. Il ne porte pas de gilet jaune mais il pratique le même sport : soutirer de l’argent. Que faire ? Retourner le voir pour demander mon dû ? L’autre gilet jaune s’approche de moi. Je t’ai dit que je n’allais pas te payer. J’ai déjà donné 4 Dh au guichet. Il éclate de rire. Il a tout compris. Je repars.