Pour connaître quelques pans de l’histoire de ce pays, il vous faut vous armer de patience.
Patience dans la lecture, l’apprentissage, les séminaires, bien entendu.
Patience à la recherche de manuscrits, des lieux, des ouvrages qui peuvent être des clés importantes pour apprendre et découvrir.
Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de patience à la recherche de véritables clés. Des clés que l’on tourne dans des serrures pour ouvrir des portes.
Et donc patience à la recherche des détenteurs de ces clés.
Ces personnes acquièrent un statut à part. Elles se sentent importantes de par leur pouvoir de fermer et d’ouvrir des portes.
Ces potentats vous font douter de votre engagement, éliment votre motivation.
Concrètement.
Vous êtes férus de l’Histoire de votre pays. En particulier, vous êtes passionné par le 16e. Un siècle crucial dans l’histoire de la Méditerranée. La prospérité des transports maritimes, les transitions entre dynasties, les nouveaux échanges commerciaux, le réveil des pays chrétiens face à l’empire Ottoman. Tout cela vous fascine.
Vos souvenirs scolaires vous apprennent que les portugais s’installaient progressivement sur plusieurs points de la côte atlantique du Maroc.
Vous savez que ces installations ne vont pas sans la construction de lieux religieux pour les besoins des navigateurs chrétiens et du prosélytisme des missionnaires.
Parmi ces comptoirs, la ville de Safi bien positionnée, méritait donc d’abriter une cathédrale. Et cela fut fait en 1519.
Vous consultez quelques documents et vous vous assurez que cette cathédrale existe encore, bien implantée dans la médina de Safi. Déclarée monument faisant partie du patrimoine national, vous ne pouvez pas ne pas la visiter.
Vous décidez de vous déplacer à Safi en suivant les indications de Google.
Mais contre toute attente, une fois arrivé au lieu dit, vous tombez sur une porte close. Une porte cadenassée.
Les voisins, toujours prompts à rendre service, vous informent que la cathédrale est fermée depuis plusieurs années.
Vous réfléchissez. S’il y a cadenas, c’est qu’il y a clé. S’il y a clé, c’est qu’il y a quelqu’un qui la détient.
Inutile de chercher qui est cette personne. Même des personnes influentes de la ville désespèrent de comprendre. Elles vont même jusqu’à suggérer que la médina toute entière devrait être fermée à clé.
Cela m’a rappelé Imchguiguilne, un Agadir du Souss. Un de ces makhzen qui servent de dépôts des biens des populations. Lorsque nous voulions le visiter, il fallait appeler une personne qui en détenait la clé. Avec un peu de chance, c’est à dire si cette personne n’était pas en voyage et qu’elle était bien portante, elle pouvait vous ouvrir ce chef d’œuvre architectural et vous gratifier d’une visite. Sinon, prenez votre mal en patience et essayez une autre fois !
Mais les détenteurs des clés de notre Histoire sévissent aussi dans les plus grands monuments.
Prenez la mosquée de la Koutoubia, par exemple. Devant un des portails, un gardien en fouquia blanche, assis sur sa chaise, avec son trousseau de clés en poche, observe, vigilant, les passants et les éventuels visiteurs. Il ouvre et ferme à sa guise.
Demandez-lui d’accéder à ce monument millénaire et vous serez soumis à la question-clé : pour prier ou pour visiter ? Et il précise, si c’est pour visiter, allez à la Medersa Ben Youssef.
Vous ne voyez pas le rapport. Mais vous ne vous laissez pas faire et vous dites que c’est pour prier. L’homme en fouquia blanche vous jette alors un regard suspicieux. Scrute votre habillement.
Puis décide de ne pas vous ouvrir le portail. Car, pour lui, visiblement, l’habit fait le croyant.
Des questions se bousculent dans votre tête. Qui a habilité ce gardien à décider qui est musulman et qui ne l’est pas ? De quel droit peut-il juger vos intentions ?
On peut comprendre que l’accès ne soit permis qu’en temps de prière.
On peut comprendre qu’il y ait un dress code.
On peut aussi admettre qu’à certaines périodes, seuls les pratiquants musulmans devraient accéder.
Mais est-ce raisonnable de laisser les clés de ce grand monument entre les mains d’une seule personne ?
Les clés de notre Histoire méritent mieux que le sort qui leur est fait actuellement !