L’invisible

Ce que vous avez sous les yeux n’est pas la chronique que vous deviez recevoir ce jeudi. Ceci est un texte qui résulte de l’entrecroisement de plusieurs algorithmes. Il est diffusé à l’insu de l’auteur des chroniques J3M.
L’auteur a d’autres ébauches en réserve dans son frigo. De nombreux autres écrits, enfouis dans le nuage numérique, qu’il aurait pu mettre en forme et vous envoyer.

Mais quelque chose d’invisible s’est produit, et c’est ainsi que vous vous retrouvez face à ces lignes. Dans notre époque, il n’y a guère de quoi s’étonner.

Dès la première chronique de cette série, l’auteur avait averti. Une série qu’il aurait pu nommer « Jeudi, pas tout ». Sa règle d’or était de ne pas tomber dans le nihilisme, de ne pas se complaire dans le négatif, de ne pas seulement pointer ce qui ne fonctionne pas. Il refusait de remuer le couteau dans la plaie, de désespérer le lecteur. Quand la situation est sombre, il tente de relativiser. Quand le problème est grave, il n’en parle pas ouvertement, mais suggère. Quand tout semble obscur, il s’efforce de se concentrer sur le moindre éclat de lumière.

Il n’avait pas l’intention de relater son expérience sur une aire de repos le long de l’axe autoroutier principal du pays. Il l’avait vécue, en avait souffert, avait pris des notes, avait tapé sur son clavier, mais voulait garder tout cela pour lui, comme un exutoire, comme un souvenir.

Entretemps, une machine a eu accès à ses notes. Certains mots étaient mis en relief : immondices, indifférence, mendicité, injustice. Et puis, une phrase, celle autour de laquelle il envisageait de bâtir une chronique qu’il n’aurait jamais partagée. La voici : tous ces enfants de moins de dix ans, venant des villages avoisinants de l’autoroute, aux abords d’une grande ville, qui côtoient ces voitures rutilantes, ces restes de repas, ces nantis. Ces enfants, ces invisibles, qui tendent la main, qui proposent des produits du douar, qui regardent le temps s’écouler sans eux…