Feuilles d’hiver (15, 16 et 17)

15. Une de mes plus belles découvertes de cet hiver a été cet écrivain irlandais qui répond au nom de Colum McCann et qui m’a séduit. Par son livre publié récemment intitulé Apeirogon, mais pas seulement. 
Commençons par le livre. Un livre sous forme de mille et un fragments pour raconter l’histoire de deux pères de jeunes filles victimes d’attentats commis respectivement par les israéliens et les palestiniens. Au-delà de l’histoire vraie qui est racontée dans le détail, l’auteur nous promène dans divers univers et nous fait vivre auprès de divers personnages. J’en choisis un parmi plusieurs, Rumi, le poète persan dont il rappelle cette citation : « Hier j’étais intelligent, et je voulais changer le monde. Aujourd’hui je suis sage, et j’ai commencé à me changer moi-même.»

Et puis il cite ce personnage Ben-Yehuda, qui a réformé la langue hébraïque sans être animé de sentiment religieux. Voici le récit qu’en fait McCann : « À partir du IIe siècle, l’hébreu fut considéré comme une langue sacrée et ne fut plus parlé en tant que langue maternelle courante, jusqu’à ce qu’Eliezer Ben-Yehuda et d’autres commencent, dans les années 1880, à s’en servir en famille et avec leurs amis. » 
Et il poursuit : « Ben-Yehuda, comme Einstein, disait que les juifs et les Arabes étaient mishpacha, une famille, qu’ils devaient partager la terre et vivre ensemble. Beaucoup de mots nouveaux hébreux qu’il contribua à forger dérivaient de racines arabes. Ces deux langues, disait-il, étaient des langues sœurs qui, à l’instar des humains, pouvaient vivre côte à côte et en même temps. » A quand notre Ben-Yehuda à nous ?

16. McCann parsème son livre de bribes de lettres échangées entre Einstein et Freud sur la possibilité de la paix dans le monde. 
Einstein commence en parlant de la paix défendue par : « toutes les grandes figures morales et spirituelles, du Christ à Goethe en passant par Kant, universellement considérés comme des sommités ayant transcendé leur époque et leur pays. » « Et pourtant, demandait Einstein, n’était-il pas significatif que ces mêmes personnages aient été pour l’essentiel impuissants dans leur volonté de changer le cours des affaires humaines ? » 
Un échange qui se termine en septembre 1932, par l’avis de Freud qui voyait « peu de chances que quiconque soit capable de réprimer les tendances les plus agressives de l’humanité. Rares sont les êtres humains, dit-il, dont l’existence s’écoule paisiblement. Il est facile d’infecter l’humanité de la fièvre guerrière, et l’homme a un instinct actif pour la haine et la destruction. »

17. L’auteur réserve de longs passages à un poète, traducteur et militant palestinien. Son nom : Zuaiter. 
Voici comment son assassinat est raconté : « En octobre 1972, Wael Zuaiter, poète et traducteur, fut abattu par des agents du Mossad israélien alors qu’il rentrait à son appartement de la Piazza Annibaliano, dans le nord de Rome, ayant sur lui un exemplaire en arabe des Mille et Une Nuits. Zuaiter adorait ce livre depuis qu’il était enfant. » 

Il a été la cible de douze balles. « La treizième entra dans le livre qui était toujours dans sa poche, transperça les histoires et s’arrêta lorsqu’elle toucha le dos. » 

Epouvantable. 

Pendant que je lisais ces passages, j’apprends qu’une nouvelle traduction en anglais des Mille et Une Nuits venait de paraître. Une traduction illustrée, dans un ensemble élégant.